Les femmes que nous avons rencontrées ont mentionné plusieurs enjeux auxquels elles faisaient face dans le cadre de la gouvernance. Il s’agit de leur pleine participation dans la gouvernance de leur communauté, de l’accès à des services de santé et de services sociaux adéquats et adaptés aux réalités autochtones pour elles et leurs familles et enfin, d’un environnement sécuritaire au sein duquel elles peuvent vivre et se développer.

L’objectif de cette section est donc de formuler des arguments autour de ces enjeux, puis de les renforcer avec des statistiques afin qu’ils puissent être utilisés et soumis aux décideurs dans le cadre d’initiatives de plaidoyer.

Les femmes ont le droit de participer pleinement à la gouvernance de leur communauté

« Je le ferai. Je plongerai et ramènerai la terre tant convoitée […]. La voix était celle de Dame Crapaud. Aussitôt, murmures et rires agitèrent la foule. Comment une créature si petite, si laide et si vieille pouvait-elle espérer réussir là où les meilleurs plongeurs avaient échoué? Mais Grande Tortue respecta la volonté et le courage de Dame Crapaud. Il ignora les commentaires désobligeants des Animaux et permit à la frêle créature de plonger […]. Un instant plus tard, sa silhouette émergea des profondeurs. À la surprise générale, la frêle créature glissa la tête hors de l’eau et avec son dernier souffle, cracha le peu de boue sur le dos de Grande Tortue. »

À l’instar de Dame Crapaud dans cette histoire, les femmes participent depuis toujours à la gouvernance de leur communauté. Il est donc important de s’assurer que tous les cadres de gouvernance des communautés autochtones, que ce soit à travers la Loi sur les Indiens ou encore à travers de nouvelles structures, garantissent et protègent les rôles des femmes dans la gouvernance, et ce, dès leur conception. Les femmes et leurs droits doivent être pris en compte dès le départ, car il sera beaucoup plus difficile de les inclure par la suite.

Par exemple, une femme leader expliquait comment les femmes avaient déjà des rôles déterminants dans la gouvernance de leur communauté, mais que ces rôles étaient souvent peu reconnus :

« Si vous connaissez l’histoire de votre peuple, vous savez que, selon d’où vous venez, vous avez les lignées matrilinéaires qui ont été supprimées. Je vais dire que dans ma nation d’où je viens, les femmes sont fortes. Mais à cause de la Loi sur les Indiens, de la façon dont ils ont mis en place leur système, j’ai l’impression qu’une grande partie du pouvoir va aux hommes, parce que nous avons beaucoup d’hommes qui sont chefs de communauté et tous les autres hommes qui sont conseillers. Mais ce qui est intéressant, c’est que quand vous regardez autour de vous au bureau du Conseil de bande ou dans les centres de santé, ce sont toutes les femmes qui travaillent. Mais elles ne sont pas en position de leadership la plupart du temps. »

Quelques statistiques
  • En 2022, seulement 16 % des cheffes au sein des conseils de bande du Québec et du Labrador sont des femmes.
  • En 2015, les femmes détenaient environ 40 % des sièges dans les conseils de bande du Québec et du Labrador (103 sur 250). Ces élues étaient presque toutes conseillères.
  • En 2021, au Canada, 18,5 % des cheffes dans les communautés sont des femmes et 28% sont des conseillères.

Les femmes et leur famille doivent pouvoir bénéficier de services de santé et de services sociaux adéquats et adaptés aux réalités autochtones

« Peu de temps après, Yäa’taenhtsihk vit le corps de sa fille changer. Elle était enceinte. Très tôt dans sa grossesse, la jeune femme devina qu’elle portait des Jumeaux (…). La femme accoucha de l’aîné de façon naturelle. Le cadet se fraya un chemin sous l’aisselle de sa mère et la tua sur le coup. Yäa’taenhtsihk accourut auprès de sa fille et la trouva gisante au sol, sans vie. Emplie de tristesse et de colère, elle demanda aux enfants lequel des deux était responsable de la mort de sa fille. »

Pour que les femmes puissent participer à la gouvernance de leur communauté, elles doivent avoir le temps et l’énergie de s’impliquer. Cependant, les communautés autochtones font face à d’importants défis sociaux et économiques causés par des politiques coloniales conçues pour accélérer leur assimilation au reste du Canada. Lorsque le financement des programmes sociaux est réduit, la responsabilité de ces services incombe au secteur bénévole et aux familles, qui sont généralement à la charge des femmes.

Une femme leader racontait comment dans sa communauté, les femmes en avaient souvent beaucoup sur les épaules :

« Je trouve qu’il y a encore énormément de travail à faire… Mais les femmes sont souvent les soutiens familiaux, c’est quelque chose qui est très particulier ici, même une situation qui est vraiment particulière, c’est souvent… ça repose beaucoup sur les femmes. La famille, la continuité, les enfants, s’occuper des personnes âgées tout ça, la santé. »

Quelques statistiques
  • Les familles autochtones ont plus d’enfants que les familles non autochtones. En 2006, au Québec, plus du quart (28 %) de celles-ci comptent trois enfants ou plus, alors que c’est le cas pour 14 % des familles non autochtones.
  • En 2006, 32 % des familles autochtones sont monoparentales, comparativement à 28 % des familles québécoises.
  • Le taux de mortalité infantile est de 6,2 pour 1 000 chez les Autochtones vivant dans des réserves du sud du Québec, de 11,7 pour 1 000 chez les Cris et les Naskapis et il s’approche de 19 pour 1 000 dans les communautés Inuit. Ce taux est de 4,9 décès pour 1 000 naissances dans la population générale.
  • Selon le recensement de 2011, la taille moyenne des ménages des Premières Nations est de 3,9 personnes par logement, alors que cette valeur est supérieure à 5,0 personnes par logement pour plusieurs Premières Nations. À titre de comparaison, dans l’ensemble du Québec, 2,1 personnes en moyenne partagent le même logement.
  • Le gouvernement fédéral dépense de 30 % à 50 % de moins par élève dans les 500 écoles situées dans les réserves des Premières Nations que dans les écoles gérées par les provinces.
  • En 2011, il y avait plus de 14 000 enfants autochtones âgés de 14 ans et moins en famille d’accueil. Les enfants autochtones représentaient 7 % de tous les enfants au Canada, mais 48 % de tous les enfants en famille d’accueil.

Les femmes doivent pouvoir bénéficier d’environnements sécuritaires et sans violence

« Les deux astres n’avaient pas été créés pour demeurer ensemble. Ils devaient se partager la tâche d’illuminer le monde. Un jour, la Lune emprunta le passage souterrain avant que le Soleil ne l’ait atteint. Cela le rendit furieux. Sa colère fut telle qu’il agressa violemment la Lune et manqua de la tuer. Celle-ci fut sauvée de justesse par la vigilance de Petite Tortue qui, remarquant son absence, se dépêcha de sillonner le dédale souterrain à sa recherche. Elle retrouva la Lune, gravement affaiblie, errant tristement sous terre. Il ne restait d’elle qu’une parcelle de sa chaleur et de sa lumière. »

Les enjeux liés à la violence commise à l’encontre des femmes autochtones doivent être compris dans le contexte historique de la colonisation. Cette violence tire notamment son origine des mesures qui ont ciblé les femmes et les familles autochtones au cours de l’histoire canadienne, notamment la Loi sur les Indiens, la stérilisation forcée des femmes autochtones ou encore les nombreux placements d’enfants autochtones dans des services de l’État.

Une femme leader expliquait en effet comment la violence envers les femmes et les filles autochtones étaient étroitement liée à la colonisation :

« Eh bien, si vous parlez des femmes et des filles disparues et assassinées, c’est une triste histoire. Donc, pour moi, quand vous parlez de cela, c’est un autre effet des pensionnats, une politique gouvernementale visant à tuer les Indiens et à rendre les Indiens aussi blancs que possible. Je pense que c’est l’effet de tout cela, qui s’est produit dans le passé. »

Quelques statistiques
  • En 2019, les femmes autochtones au Canada, qui forment 4 % de la population féminine du pays, représentent 24 % des victimes d’homicides.
  • Elles ont un risque d’être tuées 12 fois plus élevé que les autres femmes au Canada, et 16 fois plus élevé que les femmes blanches de ce pays.
  • Au printemps 2014, la Gendarmerie royale du Canada confirme avoir dénombré 1 017 cas de femmes autochtones assassinées et 164 cas de femmes autochtones disparues au Canada depuis 1980.
  • Les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles d’être victimes de violence conjugale que les femmes non autochtones.
  • En 2011, les femmes autochtones représentent au moins 11 % des victimes d’homicides commis dans le contexte d’une relation amoureuse et elles comptent pour 10 % des victimes de meurtres perpétrés par une personne autre qu’un partenaire intime.

À TOI

Prends un moment pour regarder les statistiques à nouveau :

  • Est-ce que certaines statistiques t’ont particulièrement marquée? Pourquoi?
  • Si tu es à l’aise, partage ces statistiques avec quelqu’un que tu connais et échangez sur le sujet.

Derrière toutes ces statistiques qui t’ont été présentées, il y a des vies et des histoires qu’il faut honorer. Prends le temps de réfléchir à ta communauté :

  • Est-ce que tu peux reconnaître certaines histoires qui se produisent dans ta communauté ou dans d’autres communautés que tu as déjà visitées? Prends un morceau de papier et écris l’histoire qui te vient à l’esprit ou le nom des personnes que tu connais qui vivent ce qui est décrit dans les statistiques.
  • Si tu es à l’aise, partage l’histoire que tu as écrite avec la même personne pour échanger à nouveau sur le sujet. Ces conversations peuvent être difficiles, mais elles peuvent aussi beaucoup ouvrir les yeux et le cœur et aider à la guérison.